Confinée depuis plus de 19 jours, j’ai été bien obligée d’aller me ravitailler hier car j’étais confrontée à FRIGOVID 19 ! Cela n’a pas été chose facile car l’angoisse me tenaillait depuis quelques jours déjà et j’hésitais entre rester blottie dans mon cocon où sortir et m’exposer au virus. De multiples scénarios se déroulaient dans ma tête : comment cela va se passer au supermarché, pourrais-je tenir le coup et si je m’évanouissais dans les files d’attente interminables…C’était comme-ci j’avais un examen à passer et je souffrais de « PET » (pre-exam tension) qui se traduisait par des sueurs froides, des crises de panique, des crampes d’estomac…

Vêtue de mon masque et de mes gants, couverte de la tête jusqu’aux pieds, le cœur battant la chamade, je sautais dans ma voiture pour me lancer dans une aventure quasi épique. C’était comme si je me jetais au large et essayais de nager contre les vagues, la respiration haletante, au bord de l’étouffement. J’essayais de rationaliser cette sortie : après tout ce n’était qu’une visite au supermarché mais le coronavirus avait pris des proportions démesurées dans mon esprit, nourri d’informations continues et d’images choquantes provenant des médias.

Oh ma belle plage de Pereybere à ma droite ! Cette plage que je fréquentais quotidiennement était si proche et pourtant si inaccessible. Du coin des yeux, j’admirais le lagon turquoise qui miroitait au soleil et le mouvement harmonieux des vagues ! Pas une personne ni même un chien errant en vue. Les échoppes et le débarcadère de Grand Bay, où grouillait habituellement une foule, étaient déserts. Un silence, mais un silence lourd, épais, étrange, un silence si présent qu’il en devenait assourdissant, enveloppait cette station balnéaire.

Et me voilà parvenue au centre commercial Super U à Grand Bay. Me garant tout près de l’entrée, j’ai dû repartir en sens inverse pour me joindre à une queue interminable qui serpentait tout au long des bâtiments et qui allait jusqu’à la route côtière, à des centaines de mètres du supermarché. Partir ou rester ? Puisque j’étais là, j’y restais. Je dois avouer que je n’ai pas ressenti cette attente comme une punition mais bien au contraire comme une opportunité !

La contemplation de la gente humaine m’a permis de passer le temps sans que je m’en aperçoive. Et chose curieuse, pas une quinte de toux ni un éternuement n’était venu rompre le silence de mort ! Cela ressemblait étrangement à des files d’attente à l’aéroport. Sauf qu’il planait une morosité au lieu d’une anticipation joyeuse !

C’était comme-ci j’étais assise à la table d’un café à Paris sirotant mon diabolo menthe tout en regardant passer les gens. Pour parodier Marc Lévy : « Regarder passer les gens, c’est bien plus marrant qu’Instagram ! » Je m’imaginais leur histoire, leur combat contre ce virus qui nous est tombé sur la tête comme la bouteille de coca cola du film « Les dieux sont tombés sur la tête », semant le trouble et la confusion et pire encore la peur. D’ailleurs chacun y faisait sa propre lecture : l’apocalypse, le jour du jugement, l’arme biologique, la malédiction, le salut et j’en passe. Autant de lectures que d’hommes sur la planète car pour une fois nous sommes tous unis à combattre un seul ennemi et nous vivons la même réalité que nous soyons américains ou australiens, mauriciens ou italiens, japonais ou français !

Stendhal définissait le roman comme « un miroir qu’on promène le long du chemin ». Eh bien plusieurs idées de roman auraient foisonné dans l’esprit de bon nombre d’auteurs en herbe en contemplant les gens qui faisaient leur course hier.

Et que dire de mes compatriotes de Grand Bay : Chapeau ! La distanciation sociale était observée scrupuleusement. Un public bon enfant et pour la plupart se murant dans le silence, perdu dans ses pensées, se dirigeait, pas à pas vers l’unique porte d’entrée du supermarché. Á l’entrée, prise de température et désinfectant pour les mains. La majorité des clients portaient des masques et des gants. Et alors commençait la danse des canards… pardon des charriots à la queue leu-leu ! Les hauts parleurs diffusaient de la musique d’ambiance dans le hall d’attente à l’intérieur de Super U afin que les clients puissent prendre leur mal en patience et après avoir dandiné pendant longtemps à l’extétieur, plus d’un battait la mesure avec les pieds, retrouvant une joie momentanée, le sésame étant à quelques pas !

Super U s’était bien préparé pour gérer la situation à l’intérieur et les mauriciens se hâtaient d’acheter ce dont ils avaient besoin sans tergiverser. Une voix nasillarde à intervalle régulier interrompait les clients pour leur rappeler qu’ils n’avaient que trente minutes pour faire leurs achats. Je me livrais à un dangereux slalom entre les rayons pour terminer mes courses le plus vite possible. Cet exploit je l’accomplissais en esquivant tout simplement certains rayons et en allant aux rayons essentiels. Dans ma tête je voyais la queue qui s’allongeait à perte de vue et je pensais à toutes ces personnes attendant patiemment leur tour.

Les provisions dans la voiture, j’ai mis le cap sur Pereybere avec le sentiment d’avoir abattu un travail colossal. Et rien ne me fera sortir de sitôt. Une fois l’angoisse de s’approvisionner passée, rester à la maison demeure et demeurera la meilleure solution tant que la pandémie persiste.

Sashi Jaddoo

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